De Caligari à Hitler à la lumière de la théorie du bouc émissaire

par Yacine Belambri,

le titre complet :

« La disjonction de l’imaginaire du sacré dans la modernité : de Caligari à Hitler à la lumière de la théorie du bouc émissaire »

in Sociétés 2010/4, (n°110), p. 65-77.

 

De Caligari à Hitler ; bouc-emissaire

De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du film allemand, œuvre majeure est vue ici à l’aune de la théorie du bouc émissaire.

 

De Caligari à Hitler est une œuvre de Siegfried Kracauer (1889, 1966) dont le titre complet est De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, (1947).

Elle est vue ici, à l’aune de la théorie du bouc émissaire.

Yacine Belambri écrit page 66 :

« Parce qu’ils s’intéressent tous deux aux thèmes de la confusion, du dédoublement, de la violence, de l’élection (d’un chef ou d’un coupable), les interprétations de Kracauer et Girard nous paraissent tout à fait compatibles, la sacralisation manquée du bouc émissaire dans la modernité venant compléter les thèses du penseur allemand. »

Il poursuit page 68 :

« C’est cependant parce qu’il nous est apparu que Kracauer n’est que partiellement parvenu à résoudre l’énigme de cette catastrophe historique que nous avons cru nécessaire d’y adjoindre les hypothèses de René Girard. Par une approche renouvelée de l’anthropologie religieuse (qui revendique explicitement l’héritage durkheimien dont il réhabilite certains thèmes), les hypothèses de ce dernier permettent d’atteindre le sens de certaines dynamiques profondes de l’imaginaire (le mythe, la tragédie, le roman) ; son intérêt pour la rivalité mimétique et pour l’indifférenciation collective, qui peut mener à la violence sacralisée et au sacrifice, lui permet d’analyser des situations de crise sociale très proches de celles étudiées par Kracauer. »

Il expose ses choix toujours à la page 68 :

« Étant donné les très nombreux films étudiés par Kracauer dans son livre, nous nous limiterons à l’analyse de quatre films, choisis d’une part pour leur importance désormais reconnue, et d’autre part parce qu’ils correspondent chacun à un découpage sociohistorique proposé par Kracauer lui-même : d’abord la période archaïque (1895-1918), ensuite la période d’après-guerre (1918-1924), puis la période de stabilisation (1924-1929) et enfin la période pré-hitlérienne (1930-1933). »

La conclusion de l’article :

« Nous avons essayé de montrer l’intérêt et la nécessité qu’il y avait à relire Kracauer à la lumière d’une théorie du bouc émissaire, celle de René Girard, qui permet à notre sens de compléter les analyses de De Caligari à Hitler en montrant que le sacrifice du bouc émissaire est le pendant exactement symétrique de l’identification totale du collectif au chef sacralisé dans le nazisme, système où ces deux tendances ont été portées à leur comble. Ce sont ces deux pôles séparés dans notre modernité – qui reconduit souterrainement un sacré d’autant plus dévoyé qu’inconscient – que nous avons appelés la disjonction de l’imaginaire du sacré.
Il nous semble qu’identifier simultanément ces deux tendances encore au travail dans nos imaginaires a le mérite de nous obliger à constater qu’on ne peut plus renvoyer ces symboliques à des périodes archaïques (songeons aux nombreux génocides ethniques qui ont suivi le nazisme) en prétendant que notre rationalisme
de modernes nous met désormais à l’abri de ces superstitions révolues. »

 

Les  4 films étudiés sont :

L’étudiant de Prague (1913) de Paul Wegener.

Le cabinet du docteur Caligari (1919) de Robert Wiene.

Métropolis (1927) de Fritz Lang.

M le maudit (1931) de Fritz Lang.